Après deux ans (une belle sortie au Karwendel), je considérai qu'il fut à nouveau temps pour un bon petit trekking alpin reliant plusieurs refuges. Les plaisirs que ces longues randonnées procurent sont nombreux: de superbes paysages, le bonheur d'une bonne bière froide après une longue journée de marche, le fait de vraiment bien apprendre à connaître une région spécifique, etc. Comme je suis un grand adepte de l'idée que la préparation d'une sortie en montagnes constitue déjà la moitié du plaisir, je passai de longues soirées (parfois arrosées ;-)) à préparer ma sortie. Après beaucoup de réflection, mon choix se porta sur une traversée exposée du Wilder Kaiser au Tyrol. Mais quelques jours avant mon départ, en consultant les prévisions météo, il me devient clair que je vais devoir changer mes plans: du mauvais temps (beaucoup de neige) s'acharnera sur les Alpes, et en particulier sur les Alpes du Nord. En étudiant bien les prévisions, je conclus que le beau temps reviendra plus vite dans le Tyrol du Sud que dans le Tyrol autrichien. Comme je n'ai que cinq jours à ma disposition, ma décision est vite prise: j'irai dans les Dolomites (région que je connais bien de vacances passées en famille bien avant le début de ce blog), et plus en particulier, dans le fameux Rosengarten (Catinaccio en italien) !
Lundi, 19 septembre 2011: Bruxelles - Munich - Innsbruck - Brennerpass - Bolzano
Après un périple assez inoubliable en partant de Munich (où je suis arrivé en avion), à travers une Autriche enneigé (je suis obligé de faire le trajet Innsbruck - Col du Brenner en taxi car la voie ferrée est obstruite par des arbres tombés sous le poids de la neige et par des coulées de boue), j'arrive relativement tard à Bozen (Bolzano), trop tard pour encore monter à la Schlernbödelehütte comme j'avais prévu de faire.
Je décide de passer la nuit à Bozen et me trouve un petit hôtel en centre ville. Après avoir brièvement visité le centre-ville de Bozen, et profité d'un bon petit souper, je retourne vite à mon hôtel pour reprendre des forces et soigner mon rhume.
Mardi, 20 septembre 2011: Bolzano - Seis - Schlernbödelehütte - Schlernhaus - Schlern - Schlernhaus
Le lendemain, je pars de très bonne heure de Bozen et prends le premier bus pour Seis. En arrivant au village, qui se trouve au pied du fameux Seiser Alm, le plus vaste alpage de l'Europe, je descends du bus et me mets aussitôt en direction de la Schlernbödelehütte, premier objectif de la journée. Je suis aussitôt captivé par ce paysage rendant les Dolomites si attractives: le contraste entre alpages, forêts et d'immenses parois calcaires est saisissant ! Je me trouve au pied de la Santnerspitze, 2413m, bastion avancé du majestueux massif du Schlern, la montagne emblématique du Tyrol du sud. Je peux aussi voir que la limite de neige est arrivée jusque dans la vallée et que la montagne est couverte d'une fine croûte de poussière blanche.
En partant de la station basse du téléphérique du Seiser Alm, je rejoins le "Oswald von Wolkenstein Weg", sentier thématique évoquant la vie et l'époque du célèbre poète, compositeur et diplomate Oswald von Wolkenstein (1376-1445). Ce dernier posséda des terres à Seis et y occupa pendant un certain temps le château de Hauenstein. Ayant été un étudiant des lettres germaniques, je décide de me diriger d'abord vers le château, ainsi effectuant un petit pélérinage privé.
Le sentier mène à travers une forêt féérique, ce qui contribue encore plus à l'atmposhère mystérieuse règnant dans ces lieux.
En soi, le château de Hauenstein, n'est plus qu'une ruine, et on y vite fait le tour.
De temps en temps, des vues s'ouvrent sur le village de Seis, 994m.
Côte montagnes, je préfère quand même cette vue-ci: le majestueux Euringerspitze, 2394m, et la Santnerspitze, dominent la forêt de Hauenstein.
A partir d'une altitude d'environ 1500m, le sentier est complètement couvert de neige. Par-ci et par-là, des arbres barrent le chemin: il est clair que la forêt a beaucoup souffert de la pluie et de la neige abondante des derniers jours.
Premier objectif atteint: la charmante Schlernbödelehütte, 1726m, lieu de départ pour de superbes escalades sur Santnerspitze et Euringerspitze.
Voilà la raison pourquoi j'aime tant les Dolomites, ces montagnes "blanches" qui sont tout sauf "blanches", comme on peut voir sur la photo.
A partir d'ici, il me semble que je suis le premier à passer depuis les chutes de neige. La marche devient fatiguante, à plusieurs reprises je suis contraint de contourner des arbres obstruant le chemin.
Mais je continue à être émerveillé par ce spectacle naturel: bien que tout seul, je me sens dans mon élément.
Arrivé à la limite des arbres, un paysage d'hiver m'attend ! Il n'est que la mi-septembre, et pourtant la Seiser Alm ressemble plutôt au domaine skiable tel qu'il se présente fin décembre. En haut, la crête des Rosszähne par laquelle passe la via ferrata Maximilian.
Voilà la Seiser Alp dans toute son étendue et sa beauté. A gauche, la Geislergruppe (culminant à 3025m), à droite Langkofel, 3181m, et Plattkofel, 2954m.
Plus haut, je croise le chemin venant de la Seiser Alm et voie pour la première fois d'autres personnes. Bien que le chemin est très facile ("Touristensteig"), je n'avance pas vite, en raison de la neige et de mon état physique (je souffre toujours d'un rhume).
Ah, enfin j'atteins le haut-plateau du Schlern. Derrière, on peut déjà apercevoir les premiers grands sommets de la mythique chaîne du Rosengarten.
Je suis tout près de mon prochain objectif maintenant, le Schlernhaus. J'ai prévu de continuer jusqu'au refuge de Tieralp mais me sent très fatigué.
Après 6h30 de montée, j'arrive enfin au Schlernhaus, 2450m (temps normal de montée depuis Seis: 4h).
Je me sens beaucoup trop fatigué pour encore continuer et décide d'en finir avec la randonnée aujourd'hui. Voilà un avantage de ne pas réserver les refuges à l'avance, on se voit souvent obligé de faire cela, or la forme physique ou les conditions météorologiques en décident souvent autrement.
Comme il est encore tôt et il fait très beau, je décide de monter jusqu'au plus haut sommet du massif du Schlern.
Ce sommet, le Petz (2563m), n'est qu'à un petit quart d'heure du refuge, et j'atteins enfin le plus haut point de la journée (1365m de dénivelé quand même). Le panorama est incroyable, j'en reste bouche-bée ! De l'autre côté de la vallée de l'Etsch, la vue s'étend jusqu'au Alpes de l'Ötztal (Wildspitze, 3776m).
Le Schlern possède un autre sommet, le Burgstall, 2515m. Près de celui-ci, des fouilles archéologiques ont eu lieu.
Gros-plan sur les Rosszähne. Vu les conditions, il est peu probable que la via ferrata Maximilian est practicable (cela me sera confirmé par le gardien du Schlernhaus).
En bas, le Schlerhaus. Derrière, le Latemar (point culminant: Östlicher Latemarturm, 2842m), une des plus mystérieuses chaînes des Dolomites.
On ne peut pas parler de Schlernhaus, mais bien de Schlernhäuser, car il s'agit d'un ensemble de plusieurs refuges offrant de la place à 100 personnes.
Heureux de ma journée, je déscends au refuge et fait la sieste jusq'au souper. Je fais la connaissance d'un sympathique couple d'Allemands et passe un agréable repas dans la compagnie de dix autres personnes. Après, il est temps d'aller dehors et de comprendre pourquoi, selon certains, le nom de Rosengarten vient de la couleur des falaises qui semblent enflammées pendant le coucher de soleil (apparemment, ça voudrait plutôt dire gros tas de cailloux :-)).
Tas de cailloux ou non, c'est du beau spectacle. Tout à fait droite, le sommet du Rotwand, 2810m. Satisfait, je rentre me coucher.
Mercredi, 21 septembre 2011: Schlernhaus - Tierser Alpl Hütte - Molignonpass - Grasleitenpass - Vajolethütte - Gartlhütte - Vajolethütte
Après un petit déjeuner bien maigre (typique pour les refuges italiens), je me mets en route, me sentant déjà en bien meilleure forme que la veille, quand j'étais encore trop accablé par le rhume. Derrière moi, le Schlernhaus et le Petz.
Panneau indiquant la bifurcation pour rejoindre la via ferrata Maximilian. Les conditions ne permettant pas de s'y aventurer, je prends le chemin directe pour la Tierser Alpl Hütte.
Vue incroyable sur l'Antermoiakogel et le Molignon. Malheureusement, la via ferrata Laurenzi (difficulté D, la plus difficile du Rosengarten), traversant ce même Molignon, sera inaccèssible aujourd'hui.
Après 2 heures de marche facile, j'arrive au refuge de Tierser Alpl (56 places), dominé par le Grosser Rosszahn, 2653m.
Après le refuge de Tierser Alpl, il reste 45min de marche à travers la neige pour atteindre le col de Molignon, 2598m. Le sommet dominant est le Kesselkogel, 3004m, point culminant du Rosengarten.
Après une heure râlante, le sentier passant par des névés et éboulis raides, j'arrive au Grasleitenpass. Juste derrière le col, la situation de la très sympathique Grasleitenpasshütte (16 places) est géniale, protégée par un énorme rocher.
Après une bonne radler, je poursuis mon chemin en direction de refuge de Vajolet. Je me suis informé auprès du gardien et celui-ci me conseille de reporter mon ascension projetée du Kesselkogel au lendemain vu la neige encore bien présente. Bien que pas vraiment une belle montagne, comme on peut voir sur la photo, le Kesselkogel constitue quand même le point culminant du Rosengarten, et offre la possibilité d'une belle traversée par deux via ferrata. Je décide donc de revenir sur mes pas le lendemain et d'empocher ce Kesselkogel !
En descendant le Val de Vajolet, je me rends compte que j'ai franchi une frontière, c'est-à-dire celle entre le Südtirol, très populaire parmi les touristes allemands, et le Trentino, véritable province italienne unilingue. Soudainement, je ne fais que croiser des touristes italiens, alors que jusqu'à ce moment-là, j'aurai pu me trouver en Autriche, pour ainsi dire. En bas, on peut déjà apercevoir le refuge de Vajolet, où je vais passer la nuit.
Arrivé au refuge de Vajolet, 2243m, je me sens envahi par un profond sentiment de bonheur en voyant ces fameuses Torre car c'est un vieux rêve d'enfant qui est en train de se réaliser.
Comme il n'est que deux heures de l'après-midi, j'ai encore beaucoup de temps à tuer avant le souper et je me mets sans hésiter en route pour remonter les 400mètres jusqu'à la Gartlhütte,2621m, où m'attendra un des plus beaux panoramas des Alpes.
Les voilà, les Vajolettürme dans toute leur splendeur ! A gauche: Delagoturm, 2790m (la voie la plus courue est celle de la Delagokante, tout à fait à gauche, IV). Au milieu: Stabelerturm, 2805m (voie normale: III). A droite, Winklerturm, 2800m (voie normale: IV+).
Je m'assieds dans l'herbe en face de ces magnifiques tours et observe des grimpeurs en action sur la Delagokante. Un jour, je retournerai et escaladerai cette magnifique paroi ! Le soleil se cachant derrière les montagnes, il devient plus frais et j'estime qu'il est temps de descendre. Je passe une agréable soirée dans la Vajolethütte et vais me coucher tôt.
Jeudi, 22 septembre 2011: Vajolethütte - Grasleitenpasshütte - Kesselkogel (Klettersteig West/Ostflanke) - Passo de Antermoia - Grasleitenpasshütte - Vajolethütte - Passo di Cigolade - Rotwandhütte
Départ matinal après un petit-dèj plus ou moins consistant (sans pour autant atteindre le haut niveau déjà renconctré dans certains refuges suisses ou autrichiens), je suis le premier à sortir du refuge. Je remonte tranquillement la vallée de Vajolet déjà parcourue la veille. Au niveau de la Grasleitenpasshütte, je mets baudrier, casque et set via ferrata et monte l'éboulis menant au pied de la paroi du Kesselkogel. Les deux randonneurs devant moi font la même chose mais n'ont pas l'air de vouloir faire la via ferrata.
Et c'est parti ! Le degré de difficulté de cette voie n'est pas très élevé, tant mieux cela permet de bien profiter des paysages somptueux (Rosengartenspitze au milieu et König Laurin Wand à droite).
Je suis bien tout seul dans la via ferrata et j'aime bien le sentiment que cela procure ! La Grasleitenpasshütte devient de plus en plus petit.
Le plaisir prend vite fin car après une petite heure, j'atteins déjà l'arête final menant au sommet. Les traces de mes prédécesseurs s'arrêtent soudainement, clairement ils n'ont pas osé parcourir ce dernier bout. Je suis parfaitement dans mon élément dans un lieu aussi exposé et n'éprouve guère de difficultés.
Génial ! Malgré les conditions peu estivales, j'arrive au sommet du plus haut sommet de la chaîne du Rosengarten, où un superbe panorama m'attend. Au loin, la très impressionnante chaîne des Pala di San Martino.
Quatre grands des Dolomités réunis sur une photo: Antelao, 3264m, Monte Pelmo, 3168m, Marmolada, 3343m (nous présentant une partie de son glacier et de sa fameuse face sud), et la Civetta, 3210m.
Gros-plan sur les Pala di San Martino. Le sommet à la gauche est le Monte Agner (son altitude est modeste, 2872m, mais sa face nord-ouest mesure un incroyable 1600m!). Les plus hauts sommets sont la Cima Vezzana, 3192m, et la Cimon della Pala, 3184m.
Après un petit quart-d'heure, j'estime qu'il est temps d'y aller (à mon avis, je suis trop habitué aux grands sommets, les hauts 3000m et 4000m, sur lesquels on reste jamais non plus très longtemps). Devant moi, une petite arête sur laquelle il faut veiller un peu à où on met ses pieds.
La via ferrata est du Kesselkogel est plus sérieux et difficile que la voie par laquelle je suis monté. D'une part, c'est nettement plus raide, d'autre part, dû à l'exposition nord-est, il y a encore beaucoup de neige.
Voilà un passage scabreux. Fort heureusement, c'est pas verglacé, et donc relativement facile à descendre.
La via ferrata descend assez bas, après je suis obligé de remonter une pente de neige et d'éboulis jusqu'au Passo di Antermoia, 2770m.
Le soleil et le ciel bleu sont là et j'ai réussi mon coup ! Même si ce sommet n'est pas tr!s joli, je suis quand même bien content de l'avoir fait.
Je redescends au refuge Vajolet et prends les affaires que j'y avais laissées. Je reste pas très longtemps car j'ai encore du chemin devant moi.
Le tronçon suivant sera pour moi le plus beau de toute la randonnée. Accompagnés de superbes vues, le chemin passe en-dessous de spectaculaires parois dolomitiques, comme ici la face est du Rosengartenspitze (voies connues: "Fantasia", 1991, V-; "Steger-Direkte", 1929, VI-).
Sous un soleil encore bien chaud, je n'ai qu'à marcher et profiter du panorama, le bonheur quoi ! Tout à fait, à gauche, le dernier col de la journée, le Passo Cigolade, 2598m.
L'autre côté du col, mon objectf final pour cette journée, la Rotwandhütte est caché derrière le becquet rocheux.
Après huit heures de marche, j'atteinds la Rotwandhütte, 2283m, fin de cette sublime étape. Je passe une agréable fin d'après-midi et soirée en toute solitude (n'ayant pas envie cette fois-ci de parler aux autres gens).
Vendredi, 23 septembre 2011: Rotwandhütte - Rotwand - Masaré Klettersteig - Rotwandhütte - Rifugio Paolina - Karerpass - Bozen - Munich
Dernier jour de la traversée, dommage que c'est déjà presque fini ! Je me sens en très grande forme pour affronter l'enchaînement des via ferrata Rotwand et Masaré. Je retourne un peu en direction du Passo Cigolade avant de bifurquer à gauche en direction du Passo Vajolon.
Premier objectif: la Rotwand (Roda de Vael), 2806m. La via ferrata passe l'arête nord (à droite). La face est une autre belle face dolomitique ("Rizzi", 1947, V; "Schroffenegger", 1909, IV) quoique sa face ouest est plus connue.
J'inscris mon nom dans le livre déposé dans une boîte en bas de la croix et continue aussitôt mon chemin car j'ai un horaire à tenir. Avant d'arriver au pied de la Torre Finestra (une tour dans laquelle il y a un trou en forme de fenêtre dans laquelle ils ont pose une ... croix!), je dois traverser un ravin profond, ce sera le passage le plus difficile de la via Ferrata du Rotwand.
La via ferrata Masaré est quand même un cran au-dessus de la via ferrata Rotwand et traverse plusieurs tours sans pour autant passer par le plus haut sommet, la Cima de Masaré, 2727m.
Je croise beaucoup de gens qui sont vraisemblablement montés en télésiège depuis le village de Karersee.
Voilà la fin de la via ferrata Masaré, c'était bien marrant et pas difficile pour moi (en gros c'était un C). Je sens que je suis prêt pour des via ferrata de difficulté D !
Un panneau au refuge montre le parcours ainsi l'horaire: de refuge à refuge, il faudrait 5h, alors que je n'en ai mis que 4 !
Petite pause, le temps de boire une Radler, et c'est en route pour la partie finale, la descente vers le Karerpass. Je croise énormément de monde et passe par le très beau monument dédié à la personne qui a fait beaucoup pour le développement du tourisme dans la région, un certain monsieur Christomannos. Derrière, la chaîne du Latemar encore bien enneigée.
Arrivée au Karerpass, 1752m, limite entre le Südtirol (Alto Adige) et le Trentino. Dans le bus vers Bolzano, j'ai le temps de réfléchir et de me sentir heureux d'avoir fait cette belle traversée du Rosengarten. Il est clair que je reviendrai dans les Dolomites !